Moelle osseuse – Délivrance ou la partie immergée de l’iceberg
Publié le : 18-09-2022
Lettre de Maryline à son donneur
Née en 1973 en Corse, de l’amour d’un homme et d’une femme. Quoi de plus évident pour une naissance ?
Le 14 mai 2008, mon corps se met à trembler, mon corps se met à chauffer, mon corps ne me répond plus, mon corps ne m’obéit plus, mon corps s’engourdit. Mon corps durcit, mon corps souffre, mon corps crie, mon corps se contracte, mon corps brûle, comme immolé. Mon corps s’évade, mon corps meurt. Comme ça, d’un coup !
Ça vous fouette, ça vous cingle, ça vous divise, ça vous torture comme mille supplices de galère romaine. Ça vous arrache l’être, parce que le corps parle et l’être sait, comprend, sent, ressent, que c’est la fin, qu’il faut se lever, prendre avec soi le peu d’énergie qu’il reste. On ne sait même pas comment cette énergie vous soulève malgré la douleur, malgré la mort qui dévoile son visage, vous ouvrant les bras pour vous accueillir.
Et ce jour-là j’ai crié, pendant 3 jours, qui en sont devenus qu’un seul. « Maryline lève-toi, vas à l’hôpital, tu vas crever, lève-toi, et vas à l’hôpital » : un ordre obsessionnel.
Le 17 mai 2008, je me suis levée, je n’ai appelé personne, on est seul face à la mort ; j’ai pris une douche, jean, basket, j’ai retiré 20 euros, ni plus ni moins. J’ai acheté 1 paquet de Marlboro, et je me suis assise à la première terrasse de restaurant que j’ai trouvé ce jour-là. Transie de douleur, je me suis assise. J’ai pris une viande bleue, un gratin dauphinois et un verre de côte du Rhône.
Puis je me suis présentée aux Urgences, en ravalant ma douleur. Et le diagnostic tombe : Leucémie Aigüe Myéloblastique L.AM 5. Suivent les chimiothérapies et l’attente d’une greffe de moelle osseuse …
Frantz
Et quelque part dans le monde « Frantz« , je l’appelle ainsi, je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu. Il ne sait même pas si je suis quelqu’un de bon ou de mauvais, il s’en fout. Il donne. Il donne son sang, ses plaquettes et sa moelle osseuse pour sauver des vies. Ce sera la mienne en l’occurrence.
« Frantz« . Il ne s’appelle pas Frantz,
je ne sais même pas quel est son prénom. Je sais qu’il est allemand, qu’il
avait 27 ans le jour où on lui a prélevé la moelle qui m’a sauvé la vie.
« Frantz », c’est la partie immergée de l’iceberg. Je ne saurais jamais
comment rendre grâce à cet homme qui par son geste m’a donné naissance une
deuxième fois. D’une façon étonnante, surprenante, surréaliste, et tellement
réelle.
Je suis toute petite ; fragile comme une poupée de verre, et solide comme la montagne, grâce à l’intelligence humaine des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, et du don de « Frantz« .
Cette nouvelle vie, ça vous survolte, ça vous révolte, ça vous transcende, ça vous change à l’intérieur, comme une envie de prendre le monde dans sa main, et de le briser au sol, de le transformer, de le rendre plus beau qu’il n’est, d’en gommer le vice, la violence, la haine, la colère, toutes ces futilités humaines dont nous sommes la proie.
Merci « Frantz«
France ADOT 06
Septembre 2022