La greffe du cœur, une montagne à gravir
Ma greffe du cœur, pour moi, a été en quelque sorte une montagne à gravir. A gravir avec un cœur fichu ! J’ai eu énormément de mal à accepter cette dernière et unique solution.
C’était en juin 2015. Depuis mon œdème du poumon les médecins cherchaient ce qui s’était passé. Ils ne comprenaient pas, ils ne s’y attendaient pas. Et là, c’est tombé. Le cardiologue a dit « le cœur est au bout, on ne peut plus rien faire, il faut une greffe du cœur ».
Je crois que j’ai hurlé durant 1 heure.
Malade depuis l’enfance
J’étais malade depuis l’enfance, et malgré cela je m’étais construit une jolie vie. Divorcée, deux petites filles de 5 et 10 ans, je ne pouvais compter que sur moi-même. Mes filles étaient trop petites pour vivre sans leur mère, ou même pour vivre avec une mère malade à ce point. Comment j’allais faire pour leur expliquer, pour tenir financièrement ? Comment je pouvais accepter qu’on scie mon thorax, qu’on en enlève mon cœur, qu’on y mette celui d’un inconnu, un inconnu mort ? C’était insupportable.
Je suis médecin. Je suis devenue médecin car j’étais une enfant malade. J’adorais les cardiologues car c’était de bonnes personnes : humains, intelligents, ils avaient le pouvoir de faire du bien et ils étaient du « bon côté de la maladie ». Je voulais devenir comme eux et j’y suis arrivée. Petite, j’avoue, je pensais aussi que cela me protègerait …
Et bien non ! Alors il a fallu que je l’accepte.
J’ai travaillé beaucoup sur l’acceptation durant ma période d’attente de greffe. J’ai d’abord accepté de ne pas travailler… au secours !! Puis j’ai accepté de me dégrader physiquement, maigrissant, m’essoufflant… jusqu’à ne plus pouvoir marcher. Alors, j’ai accepté d’être mortelle, et de préparer « l’après-moi ».
J’ai accepté de devoir la vie à quelqu’un
Déjà après mon accouchement, mon cœur avait trinqué, il avait fallu me transfuser et j’étais restée bouleversée que quelqu’un ait donné son sang, gratuitement, comme ça, pour sauver ma vie. Alors un cœur … vous imaginez …
Tout cela ne s’est pas fait dans la paix. Ma famille et mes amis ont été parfaits. Mon chéri, que je venais de rencontrer, a été tellement à la hauteur !! Ma mère, retraitée, a repris le rôle de « maman débordée » : elle a pris ma place auprès de mes filles, malgré sa souffrance et son inquiétude. Et quand cela est devenu insupportable, au pic de la montagne, quand ils n’arrivaient plus à trouver les mots, je me suis recroquevillée, et c’est l’écriture et le dessin qui m’ont tenue (tel celui ci-dessus offert à son cardiologue).
Médicalement parlant, je suis passée par toutes les étapes
D’abord, une décompensation cardiaque brutale fin 2014, impossible de respirer, mes poumons étaient « noyés ». Je pense que c’est le souvenir le plus traumatisant, pour moi et pour mon mari.
Ensuite, une année d’angoisse, à chercher ce qui s’était passé, à refuser la gravité de mon état de santé, à passer de multiples examens, jusqu’à ce qu’on m’annonce qu’il fallait me greffer.
Après des mois de refus, des mois de combat contre l’inévitable : rééducation en centre de réadaptation, histoire de récupérer quelque chose de ce cœur pourtant au bout. Je pédalais au mental, jusqu’à avoir envie de vomir, pleurant en même temps, avec la rage au cœur de ne pas vouloir être greffée.
Puis, la liste, cette fameuse liste d’attente … le téléphone en permanence dans la main, bondissant au moindre appel, en attendant L’APPEL, qui n’est jamais venu.
La n’ième décompensation cardiaque, la n’ième hospitalisation, au bout du bout, essoufflée rien qu’à parler, rien qu’à tenir ce téléphone, ne pouvant plus marcher, et … la « super-urgence » qui m’a sauvée.
Enfin ma greffe du cœur
J’ai été greffée en juillet 2016. Et je l’accepte ! Je suis même encore plus heureuse qu’avant : comme maman, comme femme, comme médecin.
Je dois la vie à une chaine de solidarité merveilleuse : médecin, secrétaires, infirmières, aides-soignantes, kiné, bénévoles, même au pilote de l’avion qui a amené ce cœur jusqu’à moi !!
Mais surtout je dois la vie à un inconnu et à sa famille, qui ont accepté de donner.
Alors depuis, je témoigne, je milite (au sein de France ADO60) pour que d’autres aient cette chance. Je donne de mon temps, je fais connaitre mon histoire, je veux être une des personnes qui font progresser le don. Faire du bien aux familles de donneurs, aux gens en attente de greffe, à mes patients aussi.
Je mesure la chance que j’ai eu : j’ai reçu… l’Inestimable.
Merci à eux.
Tiphaine, juin 2020.
Tiphaine a écrit un livre témoignage : Attendre un don d’organes, l’envers du décors