Jean-Marie Guion raconte le long chemin traversé main dans la main avec sa femme Clotilde. En 2015, pour la sauver, il a lui donné un rein. Des mots choisis pour un récit poignant
Début des années 2000. Une analyse de sang fortuite. Un taux de créatinine trop élevé. Le taux monte régulièrement, l’angoisse avec. Vient le moment où il faut consulter un néphrologue. Visite à la clinique de dialyse où officie le nôtre. Nous sommes en 2002.
Il nous explique que la dialyse, à terme, sera inévitable. Consultation suivante : exposé, toujours avec de beaux schémas, du principe de la fistule. Pour faire simple, il s’agit d’établir une liaison entre une artère et une veine pour pouvoir piquer dans celle-ci et ainsi ponctionner le sang pour régénération en évitant de détériorer l’artère.
Aller-retour entre l’hôpital de Dunkerque qui doit réaliser l’intervention et la clinique. Après trois ou quatre essais, ça ne marche toujours pas. « C’est ennuyeux, nous allons devoir envisager une autre méthode pour éviter la fistule… ».
Pendant ces errements, aucune allusion à une autre possibilité : la greffe. Encore moins la greffe de donneur vivant. Décidément, la dialyse semble être la seule solution.
Un long fleuve pas tranquille
Nous osons enfin interroger notre interlocuteur sur la procédure à suivre pour bénéficier de l’une ou l’autre de ces greffes. « Vous savez, c’est compliqué. Il y a beaucoup d’examens… ». Nous insistons et finalement le dossier est élaboré et envoyé au centre de greffe de notre région, le CHU de Lille. Nous sommes en juin 2014.
En décembre de la même année, première consultation pour la greffe. « Ah bon, vous êtes allés dans cette clinique … et vous avez réussi à constituer un dossier… ? », nous demande, intrigué, le chef de service.
La suite est un long fleuve, mais pas tranquille, pour nous deux qui allons d’examens en examens. Ce qui me stresse dans cette période, ce n’est pas l’approche de la greffe. Je la souhaite vivement et je n’ai pas d’appréhension particulière… Non, ce qui gâche mes nuits, c’est cette remise en jeu après chaque examen qui peut signifier la fin de notre projet ou son report.
Prendre la mesure du don
Cette époque est marquée par deux événements importants : le dialogue avec le chirurgien et la discussion à bâtons rompus avec le Comité Donneur vivant. Vous êtes face à des professionnels de santé concernés par le don et un psychologue. Moment essentiel permettant de prendre toute la mesure de ce « don ».
En revanche, la démarche devant le tribunal où l’on vous fait signer un document, je l’ai plutôt mal vécue. On pourrait la résumer ainsi : « Signez car, nous, on s’en lave les mains. C’est vous qui prenez cette responsabilité ». C’est vrai mais ça manque de délicatesse…
Arrive le moment où il faut choisir une date. Le chirurgien nous annonce : « Ce sera le 12 octobre, cela vous va ? Bien sûr, nous n’attendons que cela ! ».
Vous êtes toujours d’accord ?
11 octobre 2015. Arrivée au CHU de Lille. Un dimanche. Tout est calme. Nous sommes tous les deux très sereins, très « zen », comme si nous étions portés par quelque chose qui nous dépasse. Mon épouse part en néphrologie et moi en urologie.
Le lendemain matin, lundi 12 octobre, très tôt, merveilleuse douche complète à la bétadine. Et c’est parti ! Le brancard se faufile dans les couloirs. Cela me fait penser au témoignage de notre petite fille, Adèle, qui retenait surtout d’un séjour à l’hôpital, cette course « à grande vitesse » avec les lumières qui défilaient au-dessus de sa tête.
Sur la table d’opération : « Vous êtes toujours d’accord… ?» Oh que oui ! Mon épouse est en attente dans le « sas » avant d’entrer elle-même en scène. Elle me voit sortir du bloc, très agité, me dira-t-elle et l’émotion la submerge…
Donneurs de vie et semeurs de mort
Je sors du sommeil et ma première réaction est de demander des nouvelles de mon épouse. La réponse me désarçonne : « Si on ne vous dit rien c’est que l’opération s’est bien passée ». On peut trouver mieux, non ?
C’est la seule petite critique que nous ferons à l’équipe de Lille qui a été formidable. Soir du 13 novembre 2015 : c’est notre première sortie. Nous allons à une représentation au Théâtre de Tourcoing.
En rentrant mon téléphone n’arrête pas de recevoir des messages dramatiques. D’un côté, des hommes et des femmes de bonne volonté qui se battent pour la vie et, de l’autre, des individus qui distribuent la mort. C’est bouleversant.
C’était il y a 7 ans. C’était hier, c’était toujours.
Aujourd’hui, lorsqu’on songe tous les deux à cette incroyable aventure de couple, traversée main dans la main, on se sourit. Rien de plus.
Jean-Marie GUION
France ADOT 62
Décembre 2022