Capucine venait d’avoir 19 ans. Un soir de janvier 2024, elle nous dit qu’elle souhaite être donneuse d’organe s’il lui arrive quelque chose. De mon côté, la mort n’a jamais été un tabou. De là à en venir à cette décision ! Je me souviens lui avoir répondu que non, je ne la ferai pas dépecer ! Quelle idiotie ! J’étais assez surprise même si sur le coup je me suis dit qu’avec sa formation d’élève infirmière, ça devait être normal !
Tout allait plutôt bien pour Capucine
Elle était joyeuse. C’était une jeune femme bien dans ses bottes !
On savait que ses allergies et son asthme lui jouaient des tours de temps en temps, malgré tout rien d’invivable. On menait une vie normale. Elle rêvait de devenir infirmière, d’abord en « réa néo nat », puis aux urgences, puis en humanitaire. C’était une petite nana généreuse, elle aurait donné sa chemise pour les autres. Elle avait le courage de ses opinions et avoir des amies issues de l’immigration…
Elle est entrée à l’école d’infirmière d’Arras. Le premier trimestre s’est bien passé. Elle avait de nouveaux amis. La période des partiels étant passée, le petit groupe décide de sortir pour fêter ça ! Capucine me dit que le lendemain, elle sort et qu’elle reste chez Emma pour la nuit.
Elle me dit : « Salut la dragonne ! A demain soir !». Oui, je râle un peu mais j’ai tout de même tendance à être une mère cool. Elle part les bras chargés et je me retourne à peine. J’ai confiance, elle est assez sérieuse pour son âge, elle sera là demain soir !
Sauf que ça ne se passe pas comme prévu !
Vers 22h, je m’inquiète, pas de message. J’en envoie un avant de me coucher. Elle me dit qu’ils ont tardé mais que tout va bien, ils vont rentrer. Je m’endors paisiblement, elle est heureuse. Je suis fière de la voir aussi épanouie.
3h21, ce jour de février !
Mon portable sonne, je traverse le salon, je décroche.
« Madame Level ?
- Oui ?
- Je suis le médecin du service de réanimation du centre hospitalier d’Arras. Votre fille, Capucine vient d’être admise suite à une forte crise d’asthme.
- Dites-moi ce que je dois faire. Je suis à 45 minutes de l’hôpital. C’est grave, expliquez-moi !
- Non, prenez le temps de faire la route mais ne tardez pas ».
Avec mon mari, nous partons. On nous reçoit dans la salle des familles. Je pose 10 fois 100 fois la même question, pas de réponse, pas celle que je voulais entendre.
Elle a fait une énorme crise d’asthme, puis un arrêt cardiaque de 10 minutes. Les pompiers, ses amis, je ne sais plus qui a fait quoi, tout se brouille, je me sens mal. Il faut que je la voie.
On nous amène à son chevet. Tout est blanc, des tuyaux partout. Capucine va mal. On me tend un sac avec ses vêtements. Je suis en colère, elle avait mis ses tennis immondes.
Je récupère son sac à main, je l’ouvre, c’est comme si je violais ma fille. Je n’ai jamais fait ça ! Je trouve son portable, je veux fouiller pour comprendre, l’infirmier me prend le téléphone et pose le pouce de Capucine sur le capteur. L’engin se rallume, je trouve des messages espérant un réveil rapide. Ses amis la harcèlent pour qu’elle donne des nouvelles.
L’attente, l’incertitude …
On nous dit que pour le moment rien n’est vraiment envisageable, ni bien ni mal. On se laisse 48h.
Nous avons trois enfants, Capucine, Valentin et Eglantine. Il va falloir préparer tout ce monde à la nouvelle. La petite dernière se lève et nous trouve à table :
« – Capucine est à l’hôpital, c’est très grave.
– Elle a eu un accident de voiture ? ».
On lui explique la situation, elle est sidérée.
A 7h30 je pars chercher mon fils au lycée. On ne sait jamais ! J’arrive. Il a compris, il se jette dans mes bras ! On part directement vers le centre hospitalier d’Arras. On est à nouveau reçus dans la salle des familles. J’ai eu mon médecin de famille en ligne juste avant, il me dit qu’ils sont optimistes. Ouf !
On nous énumère, malgré tout, les trois éventualités :
- On réveille Capucine, un peu dans le brouillard mais tout ira bien à la longue.
- On réveille Capucine et elle a de graves séquelles, durablement.
- On réveille Capucine et RIEN. Mais c’est peu probable vu son âge.
Cette journée nous laisse espérer le meilleur. On la quitte pour revenir le lendemain.
J’appelle avant de partir. On m’assure qu’elle a passé une bonne nuit.
Pourtant à notre arrivée, c’est cordial mais l’ambiance est tendue. Je vais faire un petit tour et je reviens avec l’aide-soignant à qui je demande si elle va s’en sortir et là, mon sang s’est glacé. Son regard a changé, il a baissé les yeux.
Il m’amène dans la chambre de ma fille. Le médecin est avec elle, il nous explique qu’il y a sûrement une rupture d’anévrisme. Il faut faire un scanner.
L’annonce, enfin
Le couperet tombe : trop de sang. On ne voit pas où est la rupture, il n’y a plus rien à faire. Capucine est en état de mort encéphalique.
Je reste debout sur cette terre qui voit ma fille partir. Je dois prévenir tout le monde.
Au détour d’un couloir, je rencontre à nouveau l’aide-soignant et je lui dis qu’elle voulait donner ses organes. Il me répond qu’on n’en est pas encore là mais qu’il prévient l’infirmier coordinateur des dons d’organes.
Dans ma tête, c’est un chantier pas possible.
J’appelle des gens pour leur annoncer la mort de ma fille, d’autres me rappellent pour me dire combien ils sont désolés. J’attends ses amis qui souhaitaient absolument lui dire au revoir. Je la laisse tranquille avec eux. J’attends nos familles, des proches ,.. Je m’en veux de les faire souffrir.
Et puis, Yannick arrive. Il est infirmier coordinateur des dons d’organes. Il nous parle lentement. Il nous écoute. Il nous regarde. Il prend soin de nous. Il m’apaise. Il nous demande pourquoi on a voulu le voir et je raconte ma fille… Ses volontés et ma façon de voir les choses. Capucine était mon trésor et je le perds mais pas inutilement. Il nous explique le déroulé. Les examens à faire et comment se passe l’opération pour les prélèvements. Je n’ai pas tout entendu. J’ai juste mis mon véto sur les yeux de ma fille ! Personne n’y touche, non, jamais ! Avec tact, Yannick me demande pourquoi, juste pour savoir. Il n’insiste pas. Je lui dis que je ne veux pas imaginer que son globe oculaire soit être puis trituré et tout ça…
Alors, il m’explique que ce n’est pas vraiment la manière de faire et que rien n’est sorti, que l’œil reste à sa place et que la cornée seulement est récupérée. Alors, je dis oui. Je dis oui, mais tout le monde est interrogé. Mon mari, mes enfants. Ils sont choqués mais je tiens à faire respecter la volonté de mon enfant.
Les obsèques se préparent et Yannick nous dit qu’après l’opération, rien ne sera visible. Que Capucine sera habillée selon nos souhaits, que les soins de thanatopraxie sont pris en charge par le service.
Capucine a fait des frayeurs à tout le monde post mortem. Elle était AB+ et très peu de receveurs étaient compatibles. Il a fallu prolonger son état « végétatif » afin de trouver des receveurs et de coordonner toutes les équipes à travers 2 pays.
Elle est partie en élève infirmière, accompagnée par Paco, son doudou qui l’a suivie partout.
Des nouvelles des receveurs
Aujourd’hui, ça fait 9 mois, Capucine aurait eu 20 ans le 6 novembre.
Depuis son départ, nous avons reçu une lettre manuscrite de Yannick. Il y mentionne que les 7 organes prélevés sont greffés et les receveurs en forme. Cornées, foie, reins, cœur et peau.
Le pancréas est parti pour la recherche faute de receveur.
On nous mobilise assez souvent pour des sensibilisations au don, ce qui nous permet de revoir les membres de cette nouvelle famille Adotienne. Les receveurs, évidemment, font notre joie de vivre. Les équipes médicales, qui ont eu un rôle prépondérant dans notre vie et pour notre fille.
Quelle belle preuve de respect, d’amour de la vie et de bonté !
Anne-Sophie, la Maman.
Dans la Somme, novembre 2024